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Agdals du Haut Atlas de Marrakech, Les Azibs du Yagour


Les populations des zones montagneuses du Maghreb connaissent des évolutions qui placent leur patrimoine naturel et culturel au cœur des préoccupations environnementales et de développement socio-économique (écotourisme, aires protégées…).

Sous l’impulsion des organisations internationales il est apparu important de mettre en avant les savoirs et pratiques des populations locales, leurs capacités d’organisation, etc. Dans ce contexte, les systèmes agdal méritent d’être pris en compte, tant dans les sciences de la vie que dans les sciences sociales ( Programme AGDAL,2003-2007 ).


Le mot agdal désigne des systèmes de contrôle communautaire et traditionnel des ressources sylvopastorales des sociétés berbères du Haut Atlas. En termes strictement agronomiques il s’agit de la mise en défens saisonnière d’un espace ou d’une ressource pour assurer un repos minimal à la végétation et permettre la reconstitution des réserves des espèces végétales dans la période très sensible du redémarrage de la croissance.
Le terme agdal (pluriel : igoudlane) a des étymologie et signification complexes. Selon certains, ce mot proviendrait d’une racine berbère vivante au Maroc et chez les Touaregs de l’Aïr, que l’on retrouve jusqu’en Tunisie, indiquant probablement une large répartition de ces pratiques de gestion dans le passé. Il s’agit le plus souvent de mises en défens temporaires dont les décisions d’ouverture et de fermeture sont débattues au sein des jma’at (assemblées coutumières). D’autres font dériver agdal d’un verbe qui désignerait « faire paître le bétail dans une prairie ». Dans d’autres régions du Maroc, le mot agdal veut dire aussi grenier, ou bien encore il fait référence à un grand bassin d’eau. Autour du Yagour, l’agdal désigne trois choses : d’abord, le territoire pastoral propriété de toute la tribu, les riches prairies de propriété communale au niveau des douars, enfin des parcelles privées ayant des prairies très grasses, soumises à l’irrigation artificielle.
Cependant, le professeur Mohamed El Faïz a montré que l’agdal est un concept qui existe aussi dans les sociétés non berbères, puisque « durant les neuf siècles de son histoire, la ville de Marrakech a accumulé un patrimoine vert impressionnant. C’est dans cette ville que l’art des jardins est né au XIIème siècle. (…) (Dans) un style nouveau, celui du « jardin almohade » (l’Agdâl de Marrakech) (…), avec immenses vergers, ses grands bassins, ses monuments de l’eau, ses pavillons (…) parce que ses créateurs ne se sont pas cantonnés à une imitation servile du modèle oriental. (…) Les Berbères venant du Haut Atlas ont vu dans ce jardin naissant l’enclos familier de leurs montagnes (…) Ils l’ont appelé agdal pour conserver cette évocation des verts pâturages et le souvenir de leurs alpages. (…) Une fois l’immense enclos de l’Agdâl de Marrakech achevé, les Almohades ont cherché à porter le plus loin possible son rayonnement. Le même modèle fut réalisé à Rabat, Gibraltar et Séville »

Situation géographique du Yagour
A moins de 50 kilomètres à vol d’oiseau au sud de Marrakech, mais d’accès encore très difficile, le plateau du Yagour est un territoire pastoral de plus de 70 Km?, appartenant à la partie la plus montagnarde de la tribu Mesioua. Il se situe entre 1900 et 2700 mètres d’altitude, voire plus haut vers la montagne sacrée le Meltsène qui culmine, elle, à 3600 m. Le Yagour est particulièrement utilisé comme lieu de pâturage d’été, accueillant plus de 7000 personnes chaque année en provenance de près d’une cinquantaine de douars plus ou moins proches.

Représentations sociales de l’agdal du Yagour
L’agdal du Yagour est peut-être avant tout, un espace caractérisé par une végétation sous forme de prairie. Les représentations qui lui sont associées par les pasteurs le renvoient souvent vers l’idée d’un espace mythique. Sur le Yagour, les rites de fécondité sont déjà présents chez les pasteurs paléoberbères de l’âge du bronze (4000 à 2500 ans avant notre ère), comme en témoigne la profusion des symboles gravés sur les grès rouges de ces « olympes » pastoraux, tels qu’ils ont été décrits par A. Simoneau en 1967.

L’agdal du Yagour désigne à la fois le territoire et l’institution. Les gens parlent alors de l’agdal n’Yagour ou tout simplement de l’agdal pour se référer aux hautes terres de pâturage, voire même pour se référer à l’azib qui est l’enclos des animaux -ou bergerie- et l’espace environnant. Les azibs sont les points focaux de l’occupation des territoires pastoraux. Posséder un azib et/ou en avoir l’usage, c’est maîtriser l’espace pastoral alentour. A ce titre, il y a bien une véritable stratégie de la part des éleveurs pour les occuper à différentes saisons compte tenu des ressources disponibles et des dates d’ouverture et de fermeture des agdals. Dans tous les cas, l’azib est un habitat pour le berger et sa famille ainsi qu’un enclos où le troupeau est enfermé la nuit et où se concentre le fumier.

Le système de l’agdal est une sorte de jardinage profondément marocain, voire maghrébin. Mis à l’épreuve à travers les siècles et adaptable aux variabilités climatiques, voire aux changements sociaux, il a su survivre et continue à aménager constamment les ressources naturelles et les paysages du Haut Atlas. En fait, l’agdal favorise une haute biodiversité par son utilisation spécialisée de la terre : l'espace n’est pas pâturé du printemps à l’été et la couverture de végétation est également plus haute dans l'agdal que dans les zones autour qui sont soumises à d’autres types de gestion.
En même temps, l’agdal du Yagour contribue à l'économie locale, principalement de trois manières. D'abord, l'agdal fournit environ 20% des besoins annuels en fourrage animal. Mais plus important encore, la contribution de l’agdal en termes de fourrage arrive au milieu de l'été, quand d'autres pâturages n’ont plus rien à offrir. En second lieu, l'agdal fournit des engrais animaux clefs pour les secteurs agricoles des bases terres, rendant ces terroirs beaucoup plus rentables. Et en dernier lieu, l'agdal fournit un revenu de plus en plus important aux familles par le biais de l'ecoturisme émergeant, dont le but est le plus souvent de faire connaître l’héritage naturel et culturel de l'agdal.
A part les magnifiques paysages qu’il sculpte et entretient, les légendes qui accompagnent l’institution de l’agdal sont nombreuses dans ces montagnes. Au Yagour on entend souvent des récits sur un homme habillé en blanc sur son cheval également blanc qui apparaît chaque année dès la mise en défens du Yagour, pour sauvegarder l’agdal des voleurs d’herbe malhonnêtes en les punissant de différentes manières. Ou celui des 360 saints tournant ensemble pour assurer la surveillance du Yagour avec leurs chevaux et leurs dromadaires, symboles des grandes caravanes, des longs voyages et témoignages de dévouement et de respect.
Autour du Yagour on trouve aussi de nombreux espaces situés à proximité des marabouts, notamment des cimetières, qui sont appelés tagdalt (petit agdal) et sont pourvus d’une végétation abondante, protégés en permanence de la dent du bétail et de tout prélèvement par la seule puissance des croyances et des interdits qui pèsent sur ces lieux sacrés.
Tagdalt (petit agdal) d’un cimetière berbère avec un résultat écologique évident (pool de biodiversité et point de diffusion de semis) : le village d’Ikkis

Le système de gestion communautaire de l’agdal doit être promu comme une utilisation de la terre économiquement durable et écologiquement enrichissante. En fait, le système de l’agdal pourrait même être pris comme un outil au service du développement, spécialement au travers de son nouveau potentiel dans l’écotourisme local en émergence. L’agdal du Yagour est un exemple de « conservationnisme » qui met en avant le rôle essentiel des activités agro-pastorales de l’Homme dans l’entretien et la sauvegarde de l’environnement face aux
« préservationnistes-sanctuaristes » qui excluent l’Homme et ses différentes activités. Dans ce sens il deviendrait un outil fondamental de jardinage et d’aménagement paysager à ne pas négliger. D’autant plus qu’il s’agit d’une institution ayant toujours une légitimité locale et s’appuyant sur de réelles compétences en matière de gestion des ressources renouvelables !

L’agdal peut être en même temps, un symbole de la culture marocaine amazigh (berbère). Amazigh, homme noble ou homme valeureux. Cette dénomination « nouvelle » qui est reprise du passé, tend à se substituer à celle de « Berbère » provenant du mot gréco-latin « barbari ». Elle tend à être donnée de plus en plus aux populations berbérophones ou autres qui veulent se considérer comme des maghrébins autochtones non arabes. Le terme est notamment utilisé par de nombreux groupes politiques berbértisants. Sur le plan scientifique, la richesse et la diversité des formes d’organisation sociale de l’accès aux ressources pastorales et forestières dans les sociétés amazigh du Haut Atlas marocain, soulèvent de nombreuses questions relatives aux régimes de propriété commune, à la structure des droits, aux implications économiques, démographiques, sociales et culturelles. A ce propos, loin d’être un handicap, l’agdal pourrait faciliter la mise en œuvre du développement.

Toutefois deux conclusions provisoires peuvent être avancées. Ignorer les agdals, pourrait vouloir dire se priver des apports d’un système effectif et légitime en matière de conservation et développement. Mais institutionnaliser l’agdal par des biais étrangers à la société locale tels que la patrimonialisation par l’état, la folklorisation, l’artificialisation des célébrations, etc. risquerait de le tuer en le vidant de sa substance… Que retenir finalement du développement durable des sociétés montagnardes amazigh et de leur façon de comprendre la nature sinon la volonté politique de donner à la société locale l’opportunité de continuer à maîtriser son devenir, sa relation au sacré, ses biens communs et ses ressources naturelles collectives, base économique majoritaire de tout leur système écologique ?
A ce titre, on peut noter que l’Oukaïmeden à quelques kilomètres à vol d’oiseau du Yagour, est également un agdal qui fonctionne de la même façon.


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