Papillons du Maroc


L’importance des plus petits est souvent bien mal perçue. C’est le cas des papillons. Ils sont pourtant partie intégrante de la biodiversité puisque les trois quarts des espèces sont des insectes.
Peu de connaisseurs de ces joyaux ailés. Le livre de Michel Tarrier et Jean Delacre « Les Papillons de jour du Maroc » nous entraîne par ses images magnifiques à nous pencher un peu sur l’intérêt de l’étude de ces insectes.


Les papillons, reflets de la biodiversité

Agents essentiels des cycles biologiques, très sensibles au moindre effet nocif par un recul ou une extinction, les papillons sont les véritables révélateurs pour le diagnostic de l’état de santé d’un écosystème.
La plupart des papillons sont monophages ou oligophages et étroitement inféodés à des plantes hôtes sensibles et vulnérables. Il s’agit donc d’une panoplie d’éminents indicateurs biologiques qui réagissent aux modifications nocives par une raréfaction puis par une disparition pure et simple de l’espèce. Lorsqu’ils disparaissent, c’est que toute la naturalité a disparu sous les actions humaines négatives pour l’environnement. Le papillon est le reflet de ce qu’il y a dessous. Utilisant ainsi les papillons comme grille de lecture, l’écologue peut évaluer l’évolution de l’état d’une zone plus ou moins grande.
Moyen Atlas et Haut Atlas ont été parcourus par Michel Tarrier et Jean Delacre pour dresser un inventaire exhaustif et cartographier les sites biologiques d’intérêt patrimonial objectivement identifiés par la présence d’une faune génétiquement remarquable à base de lépidoptères. Une foule d’informations a été receuillie pendant une dizaine d’années par les auteurs, sur ces insectes-outils au service de la conservation du patrimoine dans l’ouvrage paru en 2008.

Haut Atlas central : le massif du Mgoun

Très à l’est du Toubkal dominant, méconnu des naturalistes et tout particulièrement des amateurs de papillons, le Massif du M’Goun (sensu lato) ne représente pas moins de 200
km de long et plus de 100 km de large, soit une occupation couvrant 20 000 km2, avec une ligne de faîte s’incurvant vers le sud, dont plusieurs cimes confinent aux 4000 m ou les dépassent. D’imposantes séries calcaréo-dolomitiques ont façonné un système de reliefs en creux, de parois et de canyons parmi les plus beaux paysages montagneux du pays. Dans les talwegs abrités, au-delà de 3000 m, le neige demeure jusqu’en juin. Le versant méridional, très aride, vaste lieu de transhumance millénaire, est du type saharien et pour preuve, il accueille jusqu’à 2000 m Melitaea deserticola.
A pied ou à dos de mulets, c’est un nombre hallucinant de cols et de hautes vallées qui sont à visiter, filet et appareil photos à la main. Une exploration assez facile du piémont nord, à savoir le Tizi-n-Tamda adossé au Djebel Azourki, donne une idée de la biodiversité insoupçonnée de ces montagnes, aux indices tant qualitatifs que quantitatifs.
Le bilan spécifique est de l’ordre d’une cinquantaine de taxons, dont certains inconnus jusque là. Pieris segonzaci, Zegris eupheme maroccana, Cigaritis monticola, Thersamonia phoebus, Cupido lorquinii, Glaucopsyche melanops alluaudi, Plebeius martini mgouna, Polyommatus atlanticus atlanticus, Euphydryas desfontainii boumalnei, Argynnis pandora seitzi, A. auresiana astrifera, Hipparchia hansii edithae, Pseudochazara atlantis mounai, Berberia lambessanus x B. abdelkader (population mixte), Coenonympha vaucheri vaucheri, Lasiommata maera (et non encore meadewaldoi qui ne se manifeste que dans le Massif du Toubkal), etc.
Haut Atlas : le massif du Toubkal

Le massif du Toubkal, avec son point culminant à 4167 mètres a été inventorié depuis longtemps, que ce soit depuis Imlil au-dessus d’Asni, ou depuis l’Oukaïmeden dominant la plaine de Marrakech. C’est un secteur marocain idéal pour tout entomologiste montagnard. Les conditions d’accueil sont pour beaucoup dans le succès d’exploration du secteur et le Toubkal a depuis longtemps été doté d’un minimum de structures touristiques, notamment par l’implantation du Club Alpin Français dès les premières heures du siècle passé avec ses refuges d’altitude (Oukaïmeden, Lepiney et Neltner).
La magnificence des Papillons qui en font la notoriété est désormais bien connue et ces espèces saupoudrent leurs colonies dans tout le massif et les montagnes avoisinantes. On pourrait dire qu’entre le Tizi-n-Tichka (reliant Marrakech à Ouarzazate) et le Tizi-n-Test (entre Marrakech et Taroudannt), on a toutes les chances de rencontrer, dès l’instant que l’on s’élève des représentants des espèces suivantes : Pieris segonzaci, Zegris eupheme maroccana, Tomares mauretanicus mauretanicus, Heodes alciphron heracleanus, Cupido lorquinii, Glaucopsyche melanops alluaudi, Aricia artaxerxes montensis, Cyaniris semiargus maroccana, Polyommatus amanda abdelaziz, P. atlanticus atlanticus, Melitaea cinxia atlantis, M. aetherie delacrei, Argynnis auresiana astrifera, Pseudochazara atlantis atlantis, Satyrus atlantea, Berberia lambessanus, Arethusana aksouali, Hyponephele maroccana maroccana, Coenonympha fettigii inframaculata, C. vaucheri vaucheri, Lasiommata meadewaldoi et bien d’autres espèces plus communes ou moins signifiantes.

Le Moyen Atlas tabulaire

Entre Meknès et Midelt, le Moyen Atlas humide de la cédraie reçoit la plupart des naturalistes étrangers tant il est fascinant et riche d’une biodiversité hélas de plus en plus amenuisée par la déconstruction de la forêt, le surpâturage intempestif et la mort du sol que ces pressions induisent. Certaines stations auparavant très prolixes en Insectes et en plantes diverses, dont d’innombrables endémiques, sont en grave déclin ou définitivement dégradées, c’est le cas de la Source Vittel de l’Oued Tizguit à Ifrane, de la plupart des biotopes des alentours d’Azrou (où Tioumliline et son Pieris napi atlantis ne sont plus que de vieux souvenirs), des merveilleuses prairies florifères du Plateau d’Ito, longtemps en défends mais tout récemment arasées et pour toujours par le piétinement et la dent du bétail, de l’essentiel du Col du Zad et des rives de l’Aguelmame de Sidi-Ali, victime d’une extrême désertification et où Pieris mannii haroldi, découvert il n’y a guère qu’un demi-siècle, est déjà une espèce posthume.
Les biotopes y sont le plus fréquemment les prairies, les causses et les pelouses, parfois quelques vals avec ripisylves mais aussi les clairières généreuses et bien ensoleillées de la forêt mosaïquée, ainsi que les abords des cultures. Le magnifique cortège qui vole encore dans ces beaux restes du triangle du Cèdre compris dans le périmètre Ifrane-Khénifra-Itzer est composé et caractérisé par : Zerynthia rumina africana, Aporia crataegi mauretanica, Pieris napi atlantis (éteint), Euchloe tagis atlasica (porté disparu), Zegris eupheme maroccana (très raréfié), Anthocharis belia belia, Cigaritis monticola (en situation précaire), Tomares mauretanicus antonius, Cupido lorquinii, Pseudophilotes fatma, Cyaniris semiargus maroccana, Polyommatus amanda pseudotova, P. thersites meridiana, Melitaea cinxia empompe, M. aetherie algirica, Euphydryas desfontainii gibrati, Argynnis aglaia lyauteyi, A. auresiana maroccana, Hipparchia caroli, H. hansii colombati et Satyrus atlantea, bien que la plupart de ces espèces soit raréfiée ou en sursis.

Un peu plus au nord, le Massif du Kandar, tout autant endommagé par le parcours en forêt, fournissait encore il y quelques années un effectif comportant entre-autres Euchloe tagis atlasica, Cigaritis monticola, Callophrys avis barraguei, Plebeius martini ungemachi, Euphydryas aurinia ellisoni, Hipparchia fidia benimguildi, Coenonympha arcanioides, etc., dont certains taxons représentent des espèces cardinales.
Sur les replis méridionaux du Moyen Atlas central, dont les stations les plus notoires sont le Col du Zad et le Tizi-Taghzeft, se manifestent quelques espèces comme : Maurus vogelli vogelli, Plebeius martini ungemachi, P. atlanticus weissi, Pseudochazara atlantis colini et Coenonympha vaucheri annoceuri, ainsi que des taxons nettement plus liés au paysage steppicole (la steppe graminéenne dont celle à Alfa est ici et parfois quasi mitoyenne de la cédraie) et se manifestant alors en complète disjonction avec les cortèges précédemment désignés : Papilio saharae saharae et Euchloe falloui falloui, tout comme Chazara prieuri kebira et Berberia abdelkader taghzefti.
Le secteur de Boulemane, du Massif de Tichchoukt et de l’Oued Guigou, avec un microclimat très particulier et ses formations xérothermophiles où domine le Buis des Baléares, engendre une composition originale de Lépidoptères bien caractérisée par la présence de : Plebeius martini ungemachi, Polyommatus albicans berber, Melanargia occitanica moghrebiana, Hipparchia hansii colombati, H. fidia benimguildi, Berberia lambessanus, Coenonympha fettigii inframaculata, C. vaucheri annoceuri, C. arcanioides et quelques autres éléments xérothermophiles plus banals.
Enfin, la partie orientale extrême du Moyen Atlas méridional, particulièrement au Tizi-n-Tanout-ou-Filalli, au Tizi-n-Aït-Ouirra (au-dessus d’El-Ksiba) et au Tizi-n-Ifar, renferme une composition assez particulière et parfois très partielle de la faune du Moyen Atlas.

Texte élaboré à partir du livre : Les papillons de jour du Maroc, de Michel Tarrier & Jean Delacre, aux Éditions Biotope, France).